1939-1943 Imprimer
La Guerre de 39-45

mars 2001 N° 13

 

Les écoles et autres administrations reçoivent le livret de 1938 : INSTRUCTION PROVISOIRE SUR LA LUTTE CONTRE LES INCENDIES PROVOQUÉS PAR LES BOMBARDEMENTS AÉRIENS complété par une NOTICE SUR LES MESURES À APPLIQUER EN CAS DE SURPRISE PAR LES GAZ datée du 18 janvier 1939.

A la suite d'un arrêté municipal de février sur la Défense Passive a lieu le premier exercice; le 7 mars de 19 à 20h30, extinction de toute lumière dans la ville provoquant un inquiétant théâtre d'ombres auquel assistent les autorités civiles et militaires depuis la terrasse de N D de la Garde.
Un recensement de la population précède la distribution "restreinte" de masques à gaz. Fin août, de sombres affiches couvrent les murs de la ville, appelant les réservistes à rejoindre leurs corps. L'armée réquisitionne aussi animaux et véhicules provoquant une inhabituelle animation entre le Bd de la Corderie et la plage des Catalans, aux abords des casernes d'Audéoud et d'Aurelles.
Le 28 août marque le début des "restrictions" : les journaux ne paraissent plus que sur 6 pages.

Le 2 septembre l'avis de déclaration de guerre est placardé sur tous les murs de Marseille.

De ce jour, et jusqu'à l'occupation de la zone Sud par l'armée allemande le 12 novembre 1942, notre colline subit les effets du conflit comme tous les autres quartiers de la ville : les hommes jeunes partent au front pour combattre, mourir ou être faits prisonniers, les femmes gèrent avec difficulté les restrictions imposées par cartes et tickets d'alimentation, de textiles, de papier, de charbon, de savon, ainsi que le marché parallèle dit "marché noir"; les enfants vont toujours à l'école.

 

LA DEFENSE PASSIVE

Elle est composée d'hommes non soumis aux obligations militaires, requis à titre civil, qui sont utilisés selon leurs aptitudes et compte tenu de leur profession (lois du 31 mars 1928, 11 juillet 1939, décret du 30 janvier 1939).

 

  

Enregistré sous le matricule 1255, Alexandre Albenois agé de plus de 40 ans fait parti du 10° secteur basé au 12 rue d'Endoume. Il est adjoint au chef du groupe D, ilot n° 2.

Ce secteur comprend 20 chefs de secteur, 32 chefs de groupes, 273 chefs d'ilots, 129 brancardiers, 3 chauffeurs, 146 pionniers, 3 guetteurs, 120 agents de liaison, 228 pompiers, 134 service d'ordre (1088 hommes au total).

Les postes de secours sont basés:
Relais :                                  Institut des Jeunes Aveugles, rue Abbé Dassy
Poste de secours :                Sanatorium JeanMartin, 275 promenade de la Corniche
                                              Œuvre St Louis de Gonzagues, 211 rue d'Endoume

 


 

 

Dans les locaux d'habitation : coller les carreaux, obturer les fissures et les cheminées, constituer une petite réserve d'eau et d'aliments dans des récipients à l'abri de toute contamination, prévoir aussi une petite réserve de médicaments d'urgence.

Au moment de l'alerte, se munir d'un masque, fermer les compteurs d'eau, de gaz et d'électricité, fermer portes et fenêtres, éteindre les foyers allumés, se munir de lampes électriques avec verre bleu et allumettes.

 


Le Ministère de la Défense et de la Guerre diffuse une notice des mesures à prendre en cas d'alerte dès 1938. Mais dès la 1° alerte, le 1° juin 1940, les agents de la Défense Passive ont des difficultés pour repousser les curieux vers les abris.

 


La sirène du 303 Corniche, rappel traumatisant de la guerre, n'a pas cessé de retentir depuis la Libération jusqu'à l'an 2000 (contrôle technique chaque 1° mercredi à midi).

 

Le sifflet d'André Pépé retentit souvent les soirs d'été, vallon de la Baudille, rappelant à l'ordre quelque riverain ne fermant pas ses persiennes (réglementairement couvertes de papier bleu).

Contraintes de guerre décrites avec humour par Henri Verneuil dans Mayrig. "Un service de Défense Passive composé de volontaires du quartier, nous obligeaient à barbouiller nos ampoules électriques en bleu pour atténuer les points lumineux qui, disait-on, signaleraient la ville aux éventuels bombardiers. Nos vitres devaient être protégées par des rubans adhésifs qui se croisaient pour éviter les éclats en cas de bombardements. Un coup de sifflet strident, appuyé d'une amende, imposait l'extinction de toute cigarette, qui, par son bout incandescent, risquait de mettre Marseille en danger de destruction".

 

Les restrictions

 


Suite à la signature de l'armistice, en juillet 1940, la France est divisée en 2 zones : la moitié nord est zone occupée, la moitié sud zone libre. Aux rationnements de février 1940 (plus de chocolat, fermeture des charcuteries, bars et boucheries 2 ou 3 jours par semaine) s'ajoutent désormais les cartes commerciales interzones, les premiers bons "textiles" et les tickets pour chaque catégorie d'aliments.
 

 

Jo Bonavia et Annie Lippi photographiées sur la Canebière en août 1943, reviennent d'un long périple mensuel où alternent trajets en tram et marches à pied depuis Bompard jusqu'à Beaudinard, (à quelques kilomètres d'Aubagne). Chacune ramène dans son sac d'excursion 18 kg de légumes frais achetés directement aux paysans, de quoi améliorer la recette donnée par la Croix-Rouge à cette époque.

"Bouillon aux herbes"

Dans 1 litre d'eau,

60 gr d'oseille, 60 gr de cerfeuil,

60 gr de cresson, 60 gr de laitue.

 Salez le tout.

Nutritif et sain


"De la vie quotidienne, je me souviens du temps des tickets pour tout : le pain, la viande, le beurre, le café, l'huile, les chaussures, les vêtements…et d'un marché libre et parallèle, où on trouvait tout comme avant guerre, à des prix multipliés par les lois de l'offre et de la demande. Les voitures élégantes où le gazogène remplaçait l'essence, s'arrêtaient souvent devant les fermes d'une paysannerie calme et discrète". Henri Verneuil. Mayrig.

Munis d'une autorisation de transport, les fourrages nourrissent encore des vaches dans les laiteries du quartier. Mais les restrictions entraînent les fraudes : ainsi en rinçant ses bidons le laitier "oublie" souvent un peu d'eau. (Mouiller ou écrémer le lait peut entraîner une amende de 300 à 600 frs et 8 jours de prison avec sursis).

 


 

Les rations alimentaires limitées varient selon les catégories de consommateurs : E (moins de 3 ans), J1 (3 à 6 ans), J2 (6 à 13 ans), J3 (13 à 21 ans), T (21 à 70 ans, travailleurs de force), C (cultivateurs), A (autres adultes) V (plus de 70 ans).

Les E, J, V ont droit à plus de lait, les T à plus de vin. Les journaux donnent quotidiennement la liste des denrées servies : le jour des œufs (1ou 2 selon la catégorie), celui des pommes de terre…

 



Les ménagères, selon les conseils de la Croix-Rouge, confectionnent et utilisent une marmite norvégienne pour économiser le gaz. Dans un grand récipient capitonné on enferme une marmite plus petite contenant des aliments dont la cuisson a été lancée sur la gazinière et qui s'achève dans ce précurseur de la cocotte-minute.


Rations d'une carte A

 

 

 

en 1940

en 1944

 Pain

250g/jour

175g/jour

 Viande

180g/sem 

130g/sem

 Matières grasses 

  15g/sem

 50g/mois


Sous ce titre, la page "cuisine" du journal Marie-Claire propose quelques recettes adaptées aux denrées disponibles alors : une tourte au rutabaga, carottes et boudin, des cannelloni composés de farine et d'eau (pâte ayant la consistance d'un mastic épais !), des galettes de guerre faites de farine, levure, un peu de sucre et un peu d'huile.

 

UN SEUL PLAT, mais un bon !

De facile au temps de la prospérité, la cuisine est devenue un art où, en premier lieu, entre l'ingéniosité, puis vient l'imagination créatrice de plats nouveaux.

 

Dans un autre journal on explique la confection d'un ersatz de mayonnaise par gonflement de bentonite (sorte d'argile) dans l'eau ; on ajoute à cette gelée un peu de soude, du vinaigre et des épices !

"Les restrictions obligeaient les femmes à passer des heures chaque jour à faire des queues interminables devant chaque magasin. L'ennemi nous laissait juste ce dont il n'avait pas besoin.. Après l'introduction du café "national" qui n'avait de café que le nom, apparition des textiles "nationaux" puis des chaussures" nationales." Elles avaient des semelles de bois, produisant un bruit spécial à chaque passage féminin dans la rue. D A Lawrie, Les Enfants Pourchassés)

 


Affiche du Secrétariat d'Etat à la Famille et à la Santé de 1943.

 


Grille-café bricolé avec des boites de conserves

 

Vous avez toutes dans vos tiroirs quelques petits pelotons de laine de couleurs variées, c'est le moment d'en tirer parti à l'aide de ces quelques points de tricot. (Journal Marie-Claire de 1943)


Plus de bas de soie dans les commerces de lingerie ; les coquettes brunissent leurs jambes au brou de noix et tracent des coutures en trompe l'œil sur leurs mollets avec un crayon à paupières.


Les bricoleurs ressemellent les chaussures avec de vieux pneus

 



Restrictions et système D

Le savon : fabriqué avec une poudre vendue "sans tickets" et un peu d'huile.(On peut échanger 1 kg d'os contre du savon ou de la lessive).

Le charbon : la poussière récupérée au fond de la charbonnière est mélangée à du papier mouillé et pétrie en forme de "boulets". Le café : on grille des pois chiches et autres céréales et on se satisfait de cet ersatz édulcoré à la saccharine.

 

 


L'essence : est remplacée par le gazogène qui laisse derrière lui une odeur très désagréable et à l'intérieur du véhicule, une chaleur quasi insupportable. L'arrière du taxi Anzini, photographié devant le garage, rue Giay, est équipé de cet appareil qui transforme par oxydation incomplète un combustible solide (bois ou sciure) en gaz. ; les moteurs à explosion des autos et camions fonctionnent avec ce système malgré la mauvaise qualité des gaz fournis. Les bicyclettes, équipées de remorques sont de plus en plus nombreuses dans les rues.

 


 
 

 

Début 1941, la population est convoquée au recensement qui permettra d'établir les cartes d'alimentation de 1942 (pièces d'identité, de nationalité et déclaration de domicile obligatoires). S'y soustraire c'est se priver de carte d'alimentation et de contrat d'abonnement au gaz et à l'électricité.

La loi du 27/10/1940 et un décret instituent la carte d'identité de Français. Tout citoyen est tenu de répondre à une batterie de 32 questions dès l'âge de 12 ans. La mention "Juif" est inscrite en travers de la carte d'identité selon le nouveau statut de juin 1940.


 

 

   
Les tickets conservés par les familles correspondent à l'année de leur suppression 1947, 1948.

 

Les cartes d'alimentation et coupons ci-dessus établis à la naissance d'un bébé ont été utilisés jusqu'en juillet 1949 pour l'obtention de lait et de charbon.

 

 



Les Juifs à Bompard

L'hôtel Bompard réquisitionné par la Préfecture des B du R accueille à la fin de l'année 1940 une centaine de femmes et enfants juifs chassés d'Europe centrale, les hommes étant détenus au camp des Milles. Ces femmes vivent à l'hôtel dans des conditions précaires, les enfants cependant vont à l'école. En août 1942, elles sont contraintes de rejoindre leurs maris aux Milles, certaines emmènent leurs enfants, d'autres, sur les conseils de l'agent préfectoral, les laissent à une association qui les aidera les à rallier l'Amérique.


Cet épisode douloureux est décrit dans un livre américain sur l'histoire des réfugiés et intégré dans deux romans.


The Hunted Children de Donald A Lowrie.
(Les enfants pourchassés)

Présentation du livre et de l'auteur.

L'auteur a travaillé pendant les deux guerres mondiales pour soulager la souffrance des réfugiés, des civils internés et des prisonniers de guerre à travers l'Europe.


Durant la dure période de 1940 où les Allemands avançaient vers Paris, un flot de réfugiés incomparable dans l'histoire fuyait sous le chaud soleil de juin jusque dans le Sud ; la France, fidèle à son idéal, accepta ce flot humain et quand la défaite arriva, le nombre des étrangers en France était 1/10 du total de la population.


Donald A Lowrie dans The Hunted Children raconte l'histoire non seulement de ces réfugiés mais aussi du courageux peuple engagé dans une œuvre de secours avec comme résultat une dizaine de milliers de vies sauvées. Les organisations travaillaient à sauver les sans secours des camps de concentration et d'adoucir le sort de ces internés. La vie était une ronde infernale d'efforts pour procurer des visa…contrefaire des passeports…faire passer en contrebande au-delà des frontières soldats et civils…cacher les réfugiés. Et il y avait des efforts particuliers en faveur des enfants, orphelins quand leurs parents étaient tués ou déportés vers l'Est par les Allemands, au temps de l'occupation totale de la France, quand héberger un Juif était un acte de trahison.


Texte de D A Lowrie traduit de l'anglais.

Le 13 août 1942,nous envoyâmes ce câble au quartier général de JOC à New York :
"3600 Juifs des camps d'internement de la France Libre ont été envoyés à l'Est, destination exacte inconnue. De nombreuses arrestations dans les hôtel de Bompard et de Levante à Marseille ; 200 femmes prises aux Milles vers la déportation. Les ordres touchaient les hommes et les femmes entre 18 et 65 ans. Des mères avaient choisi de prendre avec elles leurs enfants de plus de 5 ans ou de les laisser à des organisations de sauvetage…le quota exigé était de 10000, d'abord dans les camps, ensuite dans les groupes de travailleurs. Si ce quota n'était pas atteint, les arrestations auraient lieu dans les villes".

 

Dix jours plus tard ce que nous craignions depuis des mois se produisait. Nous savions que les Allemands avaient transporté des centaines de Juifs de la zone occupée vers une destination inconnue, mais c'était la première fois que les nazis étaient entrés dans des lieux  que eux et Pétain appelaient la France Libre.
    Paris-Soir expliquait que quatre mille juifs de la zone occupée et que le même nombre de la zone libre avaient été déportés à l'Est, comme une leçon aux juifs complices des terroristes et des adeptes du marché noir.

A Marseille, l'ensemble de ces raids dans les hôtels en août nous atteint avec une grande force. Les deux hôtels modestes, dont nous parlons dans notre câble étaient principalement occupés par des Juifs qui possédaient des moyens suffisants pour éviter l'internement dans des camps. Les malheureux étaient sortis de leurs lits à quatre heures du matin, ayant juste le temps de s'habiller, informés d'avoir à prendre une couverture et de la nourriture pour la journée. Conduits dans des camions jusqu'à la gare, jetés dans des wagons de marchandises jusqu'aux Milles. Ce qui arrivait là était terreur et douleur difficile à imaginer.

Des protestations du monde entier arrivèrent à Vichy. J'ai demandé un rendez-vous à Pétain, le résultat fut nul. Le vieux maréchal ne pouvait rien faire, totalement contré par Laval. La tirade de ce dernier contre les Juifs montrait qu'il approuvait les mesures atroces prises à leur égard." 

 

 


 

 

Un chocolat chez Hanselmann de Rosette Loy.

"Après, il n'avait pas voulu parler de lui. Même pas de ce mois d'août 1942 quand il s'était retrouvé à Marseille devant l'hôtel Bompard pendant que la police française embarquait les femmes et les enfants pour les déporter au camp des Milles.

Ce matin d'août 1942, il s'était retrouvé devant le cordon de policiers qui barrait l'accès à la rue de l'hôtel Bompard. Dans l'hôtel, des femmes et des enfants étaient enfermés, essentiellement des juives allemandes et des pays de l'Europe de l'Est. C'était un lundi…

Ils étaient entrés en contact avec les Eclaireurs israélites de France et l'O.S.E., un organisme juif de secours à l'enfance…La mère avait été transférée à Drancy, en zone occupée…Ensuite, ils s'étaient adressés à l' H.Y.C.E.M. qui était un organisme international moins vulnérable à ce moment-là".



Aldo et Sarah de Nicole Ciravegna.

"La rue des Flots Bleus, c'est un joli nom, remarqua Sarah d'une voix heureuse. Je n'aime pas cette rue dit la petite Rose. Elle me fait peur. Sarah vit une adorable rue toute blanche sous le ciel bleu. On devinait de beaux jardins derrière les murs et les toits roses des villas mettaient des lueurs d'aurore entre les branches des pins qui dépassaient le mur. La rue était paisible comme un tableau.

Ecoute, dit la petite. Une rumeur leur parvint, confuse, impressionnante. C'était le vacarme sourd et rauque que ferait une foule enfermée dans une prison. Sarah aperçut alors, presque au bout de la rue des Flots Bleus, l'unique et insolite immeuble de ce quartier de villas…

Quand Sarah et l'enfant ne furent plus qu'à une centaine de mètres, ce fut le déchaînement. Toute la maison hurlait avec des pleurs, des cris et des appels. Aux fenêtres les têtes s'agitaient, des bras jaillissaient et faisaient des signes éperdus. Un carré de papier fut jeté par l'une de ces mains désespérées et il descendit en voltigeant le long de la façade. Sarah s'élança, le regard fixé sur le papier que le vent écartait du mur. Elle tendit la main vers lui, et poussa un cri : de la maison sortait en trombe un Allemand, la mitraillette au poing. Un énorme chien la heurta. Derrière elle, un bruit de bottes galopa sur le trottoir, puis un autre retentit sur sa gauche. En quelques secondes elle était cernée par trois sentinelles. Elle s'arrêta affolée. Toute la maison au-dessus d'elle hurlait. Sur le trottoir, le petit papier blanc. L'Allemand à la mitraillette la ramassa. Sarah sentait contre ses jambes le souffle chaud du chien. L'Allemand déchira le billet, jeta les débris par terre et les racla avec sa botte jusqu'à ce qu'ils soient émiettés, écrasés dans la pierre du trottoir. Puis il haussa les épaules et rentra dans l'hôtel. Alors le hurlement de toutes les fenêtres tomba sur elle comme un tourbillon. La petite fille se mit à pleurer. Sarah courait, seule au monde, avec ce cri à ses trousses, dans une rue de cauchemar…les villas heureuses avaient disparu, englouties derrière  ces murs terrifiants, blancs comme des sépulcres."
L'auteur a utilisé les souvenirs d'enfant de R. Malerba, professeur comme elle au collège Michelet.

 

Les Juifs français

Au delà de l'Histoire et des nombreuse lois anti-juives qui se succèdent entre 1940 et 1944, les habitants se souviennent des histoires vécues au sein même de notre quartier : calvaire des familles juives, actes de solidarité des voisins, des enseignants.

Mr et Mme Ben Saudo tiennent la chemiserie "Le Gaspilleur" rue d'Endoume. Lorsqu'ils sont arrêtés, leurs deux plus jeunes enfants fréquentent le pensionnat Ste Thérèse de Lisieux, rue Aicard ; aux policiers français venus les chercher Mlle Ventujol répond qu'ils sont absents ; elle les cache un certain temps. La fille aînée, élève à la rue de la rue Clothilde est aussi protégée par la directrice de cette école, mais sachant sa famille détenue, elle craque et va se livrer aux bourreaux.

Mr Malafré agent de police, informé de la grande rafle qui se prépare, prévient à temps ses voisins, Mr et Mme Pariante qui peuvent fuir le 19 rue Berle par les jardins.
Note : une dénonciation de Juif rapporte "la carlingue" à son auteur càd 800 frs (le salaire d'un policier est alors de 1800 frs).

Mr Gallorini, complète les maigres revenus de son épicerie 39 bd Bompard, par des travaux de jardinage impasse de la Lune, lorsqu'il entend des murmures derrière les feuillages ; il s'approche doucement et saisit quelques mots en italiens. Sa connaissance de la langue lui permet de converser avec le couple juif caché dans une grotte derrière un rideau de lierre, et qui espère avec ses pièces d'or se procurer un prochain passage vers l'Amérique.

 


 


Dès son installation à Marseille, le commandant du port allemand montre qu'il est le maître ; témoin cette carte postale représentant le commandant Von Fischer, découverte à la Libération dans la grande maison qu'il occupait, avenue Olympe.

 

Interdictions

Le 19 décembre 1942, il envoie à tout propriétaire de bateaux le communiqué suivant : "Est interdite toute circulation d'embarcation sur le Vieux-Port et dans le domaine portuaire de Marseille ; pour les propriétaires de yachts ou de bateaux de plaisance qui enfreindraient l'ordre, le feu serait ouvert sur eux sans avertissement préalable". (Document conservé par la famille Albenois-Brisson propriétaire d'une embarcation au Prophète).

Le couvre-feu immobilise la ville de 20 h à 4 h du matin.

L'occupant protège la colline d'un éventuel débarquement par   un rempart de béton de 2m de haut en bord de mer et des casemates ou  blockhaus munis de meurtrières dans les jardins des villas occupées, barre les rues avec des chicanes, des chevaux de frise.

 

 


Meurtrière dans le parc de la Villa Valmer

 

Ainsi de nombreux enfants partent vers des zones rurales moins menacées que les rives méditerranéennes. Ceux qui ne sont pas évacués trouvent dans les colonies de vacances l'occasion de mieux s'alimenter, le temps d'un séjour.


Mlle Ventujol organise en 1943 une colonie à Murat, dans le Cantal ; s'y retrouvent dans le "dortoir des grandes" d'anciennes élèves âgées de plus de 15 ans ainsi que les deux jeunes filles juives du magasin "Le Gaspilleur" .

 


Les écoliers et la guerre

Les effectifs des classes diminuent, les restrictions augmentent : plus de livres, peu de cahiers (un cahier, malgré une très mauvaise qualité, sert deux fois : comme cahier de brouillon avec écriture au crayon, puis comme cahier du jour en écrivant avec de l'encre).

Pour pallier aux carences de la sous alimentation, on distribue aux élèves d'infectes gélules marrons à base d'huile de foie de morue que les enfants recrachent le plus souvent dans leur cartable, et des comprimés roses acidulés, sucés comme des bonbons.

"Ils nous prennent tout"  disent les ménagères obligées de s'inscrire chez un seul fournisseur. L'occupant prend tout ce qui lui fait plaisir et ne laisse aux Marseillais que ce qui ne lui sert pas.
Il reste les légumes communs, épinards, rutabaga, oseille, rarement choux, carottes ou navets. La ration de légumes est en principe de 250g par jour et par personne. Les marchés sont inexistants.


Dans les quotidiens paraît ce communiqué :

 

  ATTRIBUTION DE VIVRES ROUMAINS
         AUX CANTINES SCOLAIRES

 

L'inspection académique communique :

Les premiers wagons de vivres roumains offerts aux enfants de France sont arrivés à Marseille. Les parents sont invités à faire inscrire leurs enfants aux cantines, afin qu'ils puissent profiter des dons qui seront donnés en supplément aux repas normaux servis.

 

La sous alimentation des écoliers est décrite par D A Lowrie dans le livre "Les Enfants Pourchassés"
   "Ces rationnements de nourriture affectaient les enfants plus que tous. Vous pouviez les voir dans les salles d'école peu chauffées portant leurs vêtements d'extérieur, enroulés d'écharpes, par dessus leurs tabliers noirs. La plupart d'entre eux n'avaient aucune nourriture entre leur petit déjeuner et leur retour à la maison, en fin d'après midi. C'est là que l'Association du Comité des Amitiés Américaines entreprit une importante opération : apporter un goûter au milieu de l'après midi pour environ un demi million d'écoliers dans les plus grandes villes. Ce Comité importait de Suisse et du Portugal la nourriture nécessaire à la poursuite de ce programme, des fruits secs, des légumes, du riz, du chocolat. En plus, dix mille enfants sous-nourris recevaient du lait et de la nourriture pour bébés.
    L'accroissement des demandes allemandes entraînait de nouvelles restrictions drastiques. Les cartes de rationnement devenaient une plaisanterie, riz et pommes de terre n'y étant pas mentionnés, étaient considérés comme n'existant pas !"

 






Occupation des maisons en fonction de leur position intéressante sur les crêtes.

 

MARSEILLE ZONE OCCUPÉE

Le jour anniversaire de l'armistice, les marseillais voient les murs de la ville se couvrir de tristes affiches.

           Cabinet du Préfet
         Avis à la population


Les troupes d'occupation seront dans la journée aujourd'hui même à Marseille.
En conséquence, l'ordre, la discipline la plus stricte correction, ainsi que le plus grand respect des consignes de la Défense Passive s'imposent à tous.

                A Marseille le 11 novembre 1942

                           Le Préfet régional

                                 J. Rivalland


 Dès le lendemain, des vagues d'uniformes verts, casqués et bottés déferlent sur la ville, occupent en premier lieu tout le littoral. Les riverains sont contraints d'évacuer, leurs locaux étant requis pour le cantonnement des troupes ou y sont simplement "invités" pour des raisons de sécurité.


            Avis à la population
        de la région marseillaise

 

Au cours de l'entretien que le Préfet Régional a eu avec le général Commandant les troupes allemandes de la région de Marseille, cette haute personnalité lui a donné l'assurance que la mission de ses troupes étaient d'ordre purement militaires et que la population civile dans tous ses éléments ne relevait que de l'Administration et de la police française.
Le préfet de Région porte ces déclarations à la connaissance de la population de la région. Il est assuré que chacun a compris la nécessité pour tous et dans toutes circonstances d'une absolue correction vis à vis de l'Armée Allemande.

                Marseille 13 novembre 1942

                         Le Préfet régional

                            J. Rivalland


Promesse non tenue…Marseille va subir l'occupation et en souffrir.

 

 


Casemate-abri rue des Flots Bleus, meurtrière rue du Dr Fr Granier
(A la destruction impossible)


 

Le bd A Autran, village allemand, de janvier à août 1944.

 

Les maisons réquisitionnées sont occupées par le Commandant du Port allemand et le personnel de la Kriegsmarin : (coiffeur, femmes, cuisinier, tailleur), par un dépôt d'arme et la lutte anti-aérienne. Une cloche est suspendue entre deux fenêtres de la villa Le Pin, afin de signaler une éventuelle attaque par les gaz.

 

Une herse de barbelés ferme le boulevard à la jonction du chemin du Roucas et au niveau de l'impasse A Autran. La villa dite "gendarmerie" abrite la cuisine et le mess.



Le personnel de la Kriegsmarine pose dans le jardin de la villa occupée
(photo retrouvée à la Libération, villa Le Pin, Bd Amédée Autran)





Dans le livre "LA MAISON ASSASSINÉE", Georges Hubert Gimmig relate l'occupation de la "Campagne" par la Kriesgmarine et la construction de la caserne souterraine qui défigura la colline à tout jamais.




La forteresse souterraine va de la côte 65 à la côte 82. Le groupe scolaire A Autran est bâti sur l'emplacement du "château" Gimmig.

 
Vue du Val Emeraude, la colline sous laquelle fut creusé le souterrain.


Un chemin pavé de dalles numérotées, scellées par du béton armé est le seul vestige visible de l'aménagement de l'entrée (du matériel) par l'armée allemande.

 


 

 

 

Deux tunnels d'entrée au niveau de la côte 65 amènent à de longs couloirs voutés desservant de nombreuses salles grandes et petites (dépots d'armes, de vivres, puis infirmerie et salle d'opération à la Libération).

 


Un escalier de quelques 70 marches relie la caserne souterraine à la "campagne" tenue par les occupants.



Souvenirs d'escaliers champêtres les ayant précédés, évoqués dans "La maison assassinée" : "Quatre marches ensuite, et une allée coudée brusquement à gauche menaient au-dessus d'un petit verger, transformé plus tard en champ de vignes…une volée d'escaliers menait ensuite au fond du fruitier, sous une treille portant des olivettes. A angle droit s'amorçait l'allée le traversant tout entier, et empruntant deux volées d'une douzaine de marches de brique, qui rejoignaient les deux paliers du terrain."



Dans LE PETIT MARSEILLAIS du 25 janvier 1944 paraît cet avis
     Circulation au bord de mer

  La Préfecture des Bouches du Rhône communique:

La circulation des piétons sur les voies de Marseille qui longent la côte n'est permise que sur le côté opposé à la mer.

Il est formellement interdit de stationner et de s'entretenir avec les ouvriers civils employés sur ces voies ou à proximité.

Tout contrevenant à ces instructions s'expose à un danger de mort.

Complété par des affiches le 21 avril 1944






Les cabanons du Prophète sont aussi réquisitionnés pour des raisons d'ordre militaire, non occupés mais devant rester ouverts après l'évacuation.




Le Service Municipal du Logement créé à cet effet, réquisitionne à son tour les logements vides pour y placer les évacués, à qui on conseille toute fois "Si votre présence n'est pas indispensable à Marseille, quittez volontairement la ville". Un transporteur est mis à leur disposition (au tarif réglementaire).


Des indemnités sont versées aux locataires évacués qui continuent cependant à payer leur loyer s'ils veulent conserver leurs droits, ou aux propriétaires en cas contraire.


Le Service des Réfugiés alloue un bon de transport gratuit et un mobilier sommaire aux Evacués. (lit, armoire, table, chaises, buffet)

Pour toute démarche il faut présenter sa carte d'identité et sa carte d'alimentation.



Sur la Corniche, l'armée allemande protégée par un haut mur et des herses de fil barbelé, guette un éventuel débarquement de nos alliés

Les abris.

Les nombreuses grottes naturelles de la colline offrent de précieux abris pendant les bombardements et surtout les combats de la libération. Dans cette atmosphère lourde, oppressante, empreinte du bruit de la guerre, de claustrophobie et de promiscuité parfois pesante, il y a toujours une petite place pour une anecdote plus légère.

Dans le jardin 7 rue Martin-Brignaudy, une soixantaine de personnes se tassent dans une vaste grotte. Mr Lattore, musicien de son état, ne quitte pas sa maison "Interlude", rue Peyronet, sans son violon ; Lucien Russo se souvient de ces concerts très particuliers dans la grotte de Mme Verdot, faits de valses et fracas de bombes.

Les enfants de l'école Bompard rejoignent la grotte du 137 Bd Bompard en passant par dessus le mur de leur cour. Un jour de l'été 44, Mr Filippi notre inoubliable coiffeur qui fréquente aussi cet abri, se rend compte qu'il a oublié son chien et retourne le chercher ; un soldat allemand posté à l'usine "Panamose" lui jette une grenade qui roule, le chien la poursuit et explose avec elle. Philosophe, le coiffeur raconte l'anecdote et conclut : il vaut mieux que se soit le chien plutôt que moi.

Mme Boullevault a dû cuisiner plusieurs jours dans ces mêmes lieux pendant la libération du quartier.

L'indication ABRI a perduré longtemps sur les murs du 137, puis l'usure du temps ou des travaux de réfection ont amené l'oubli.

 


 

Reste en souvenir ce petit pendentif d'époque conservé comme un porte-bonheur pendant six ans par B. Bonavia, prisonnier de guerre en Allemagne.

 

 

 


Timbre de 1943
"Au profit du Secours national"
Textes et documents photo, composition :
Monique Bonavia-Michelet.
Editeur : Association "La Butte Bompard"
Mars 2001
Avec la participation des familles
Albenois-Brisson, Anzini, Boyer, Coen-Rudloff, Garella, Gras-Leporini, Malafré, Martini.

Le livre "The Hunted Children" de D. A. Lowrie  est parvenu à l'Association
grâce à une chaîne d'amitié :
demandé par J. de Catheu à Mme Anderson veuve de l'ancien consul des USA à Marseille
qui l'a cherché, trouvé et expédié de Floride, il a été ensuite traduit par S. Maurin, professeur d'anglais.
Reproduction même partielle non autorisée sans l'accord des auteurs.